La colonisation française en Afrique fut marquée par une politique de contrôle rigide et une répression brutale contre les mouvements nationalistes. Le cas du Cameroun, entre 1916 et 1958, illustre à quel point les stratégies de répression mises en place par la puissance coloniale furent à la fois complexes et systématiques, différant cependant d'autres contextes coloniaux par l'ampleur de la militarisation et la radicalisation de la lutte armée face à un mouvement nationaliste structurant comme l'UPC. Les documents déclassifiés récemment par la Commission franco-camerounaise et le rapport commandé par le président Emmanuel Macron, remis au président Paul Biya le 28 janvier 2025, permettent d’éclairer ces mécanismes et de révéler la violence étatique employée pour contrer les aspirations à l'indépendance.
L’ordre colonial : une architecture autoritaire
Dès la fin de la Première Guerre mondiale, la France met en place un système administratif rigide pour consolider son emprise sur le Cameroun, territoire jadis sous domination allemande. Sous le mandat de la Société des Nations (SDN), la France n’a de cesse de plaider pour que ce territoire soit assimilé à son empire colonial, renforçant ainsi un dispositif répressif visant à empêcher toute contestation. La stratégie française consiste à marginaliser les élites locales tout en favorisant un contrôle strict des ressources et des populations.
La résistance s’organise pourtant dès les premières heures de l’administration française. Figures emblématiques de l'opposition, comme Rudolph Douala Manga Bell, paient de leur vie leur refus de se plier aux expropriations et aux injonctions de l'occupant. Cette répression précoce témoigne de la volonté française de ne laisser aucune place à la contestation, usant aussi bien de la coercition administrative que de la force militaire.
L’Union des Populations du Cameroun (UPC) : la menace nationaliste
Dans l’après-Seconde Guerre mondiale, la revendication d’indépendance s’intensifie avec l’émergence de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) en 1948. Ce mouvement politique, inspiré par les idéaux panafricanistes, plaide pour une libération immédiate du Cameroun et la fin de l'occupation française. Sa popularité inquiète rapidement les autorités coloniales, qui y voient un danger imminent pour leur présence dans la région.
Face à la montée en puissance de l'UPC, les autorités françaises commencent par tenter de neutraliser le mouvement par des mesures politiques et administratives, notamment des interdictions de manifestations et des arrestations ciblées. Cependant, ces tentatives s'avérant insuffisantes pour enrayer la mobilisation, elles répondent par une série de mesures répressives de plus en plus radicales. En mai 1955, une insurrection majeure éclate, marquant le basculement vers la lutte armée. L’administration coloniale met alors en place un dispositif militaire dédié à la liquidation du mouvement nationaliste.
Un legs colonial toujours présent
Si la répression a permis à la France de maintenir son emprise sur le Cameroun jusqu’à la fin des années 1950, elle n’a pas pour autant anéanti le mouvement nationaliste. La dissolution de la Zopac en 1958, combinée à l’assassinat de figures clés comme Ruben Um Nyobè, marque certes un tournant, mais ne met pas fin aux revendications indépendantistes. Loin d’éradiquer l’UPC, la répression contribue à renforcer son mythe et à radicaliser la lutte pour l'autodétermination.
L’indépendance du Cameroun en 1960 ne signifie pas pour autant la fin des conséquences de cette période sombre. Le pays doit immédiatement faire face à de nombreux défis, notamment la persistance des tensions entre les anciens partisans de l’UPC et les nouvelles élites politiques soutenues par la France. La mise en place d’un État centralisé sous la présidence d’Ahmadou Ahidjo entraîne une marginalisation des opposants, tandis que la militarisation du pouvoir s’intensifie pour contenir les insurrections résiduelles. Par ailleurs, l’influence économique française demeure omniprésente, limitant la souveraineté réelle du Cameroun et renforçant une dépendance structurelle qui freine son développement autonome.
Conclusion : un devoir de mémoire incontournable
L’analyse des documents issus de la Commission franco-camerounaise et du rapport remis par le président Macron au président Biya le 28 janvier 2025 met en lumière l’ampleur des violences exercées par l’administration coloniale française pour contenir les aspirations à l’indépendance. Cette période, longtemps passée sous silence, commence à être reconnue, mais un travail de mémoire reste nécessaire pour permettre une réconciliation sincère entre la France et le Cameroun. Comprendre l'histoire, c'est aussi refuser d'en occulter les pages les plus sombres pour en tirer les leçons et bâtir un avenir plus juste.
Quels enseignements pouvons-nous tirer aujourd’hui de cette histoire ? Comment les relations franco-camerounaises pourraient-elles évoluer vers une véritable réconciliation historique ?
Notes
[1] Rapport de la Commission franco-camerounaise sur la colonisation et la répression au Cameroun, remis le 28 janvier 2025. [2] Archives nationales françaises, fonds de la Société des Nations, dossier Cameroun, 1920-1945. [3] Rapport sur les conséquences post-coloniales de la répression, Université de Yaoundé, 2023. [4] Article de RFI : "Le rapport sur la colonisation française au Cameroun remis à Paul Biya", janvier 2025.
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